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En exergue
            Fort de son amitié avec Jane Evelyn Atwood et William Betsch, Bernard Molins, complice de longue date du Festival Mai Photographies, nous a proposé la thématique de cette 31ème édition. Une réflexion collective autour de la notion d'engagement, qui caractérise les travaux de ces deux auteurs photographes, nous a permis de concevoir la programmation de cette année. 
            J'ai rencontré Jane Evelyn Atwood en 1980. Elle venait de recevoir la première bourse de la fondation W.Eugène Smith aux Etats-Unis pour ses photographies réalisées sur un groupe de prostituées, rue des Lombards à Paris. Son engagement était total, il l'est resté tout au long des années... 
            William Betsch a mené des projets sur le long terme, sur le Hammam Moulay Idriss à Fez au Maroc, le conflit en ex-Yougoslavie couvert sans accréditation. Il avait les plus grandes difficultés à produire ses projets. J'ai découvert, par hasard, son livre « Drancy ou le travail de l'oubli »  dans un rayon de librairie, une dizaine d'années après qu'il m'ait fait part des prémices de ce projet. C'est avec une profonde tristesse que j'ai appris sa disparition quelques mois après. William était un homme intègre, très sensible, et déterminé.
Engagé volontaire
            Jai proposé la thématique « engagé » à léquipe de lassociation AKTINOS pour le Festival Mai Photographies 2012, année qui, de surcroît, sollicite chacun de nous à un engagement civique particulier. Nous avons sélectionné des auteurs autour de quelques figures tutélaires avec la préoccupation dillustrer la diversité des pratiques documentaires et artistiques de la photographie. Il ne sagit pas ici, de proposer une dissertation sur lengagement, celui qui uniformise, dépersonnalise, intègre ou isole, ni de suggérer une programmation sous tendue par une réflexion théorique, conceptuelle...
            Ce quil faut entendre dans ce terme générique, cest plutôt une disposition individuelle qui engage dabord et avant tout lartiste avec sa conscience, avec lui même, avec sa vision du monde. Notre ambition est de réunir des auteurs concentrés sur leur projet, qui ignorent les effets de mode et les tendances flatteuses, les postures hautes en couleurs, les facilités esthétiques, lappât du gain.

Suivre la ligne tracée
            Il sagit, pour Pilar Albajar et Antonio Altarriba, de mettre en scène, non sans humour, nos tendances à la tyrannie. Leur complicité artistique interpelle nos inflexions néfastes, destructrices, et nous interroge dautant plus sur notre engagement, sur notre disposition à réagir ou à ne pas céder. Il sagit, pour Jane Evelyn Atwood, daccompagner les exclus, les marginaux, les victimes, comme pour tendre un miroir à sa propre existence. A Drancy, William Betsch a relevé patiemment les traces de la mémoire et ses impacts sur le présent. Il la réhabilite et approfondit une recherche formelle qui fleurte parfois avec labstraction. Sa photographie documentaire dépasse toute préoccupation esthétique. Elle est directe, très simple, et emprunte une touche « amateur ». De cette forme, elle tire son efficacité et nous conte une histoire qui nous touche, que lon aurait pu vivre. Gilles Coulon nous interpelle par de calmes paysages enneigés dont la blancheur est violemment perturbée par une rubrique des fait-divers. Il nous propose dassocier une image neutre à un texte dont la formulation lest tout autant. Coulon nous parle dhumanité, notion que lon aurait presque oubliée. Joakim Eskildsen donne à voir la culture et le rapport au monde du peuple Rom grâce à un regard attentionné pour le quotidien de la communauté. La simplicité de son regard se met au service dun peuple qui lutte pour préserver sa liberté et son identité. Guillaume Herbaut a pénétré, au péril de sa santé, la « zone » interdite à Tchernobyl pour nous contraindre à nous questionner. Son approche frontale dénuée deffets nous impose une réalité sourde et sournoise. Son engagement, qui mérite notre respect, questionne aussi ses propres limites. Lincroyable et paradoxalement banal périple de Kingsley, candidat à limmigration, partagé par le photojournaliste Olivier Jobard, témoigne, au delà du propos, dune relation humaine matrice du sujet. Les deux hommes ont partagé un temps, une destinée commune, lun avec lespoir de trouver un Eldorado sur ce continent rêvé et décevant, lautre avec la volonté de faire « le métier » de photo-journaliste au sens le plus noble.
            Ces artistes sont trop occupés par la sincérité de leur implication pour ne pas se laisser distraire. Ils ont choisi dêtre au monde, comme on monte dans un wagon. Le voyage se terminant seulement à larrêt du train, la vie définitivement engagée.

Bernard Molins, mars 2012
Photographe, enseignant, concepteur et animateur de projets d'action culturelle